Humans of Food #9
Fatima
Cuisinière yéménite à Strasbourg
« Si nous collaborons les uns avec les autres et mettons les idées sur la même table, nous pouvons créer quelque chose d’assez unique » nous dit Fatima alors qu’elle ouvre les placard de sa cuisine et en sort ses mélanges d’épices yémenites.
Elle nous partage aussi sa rencontre avec la cuisine égyptienne où elle a habité pendant 3 ans et y a monté une association qui préparait des buffets pour les ONG avec les femmes yémenites.
Est-ce que tu as un souvenir particulier lié à la cuisine de ton enfance ?
Je me souviens lorsque ma famille me rendait visite, mes oncles, mes tantes, tout le monde venait avec des plats. On pouvait sentir l’amour, ces plats étaient particulièrement bons, les plats se complétaient entre eux. On se demandait les uns aux autres ce qu’ils avaient mis à l’intérieur, comment ils avaient fait.
Le premier souvenir de moi cuisinant peut être le riz, c’est la base de nos plats. Le riz au Yémen est un plat très simple, les autres plats sont vraiment plus élaborés, ils demandent plus de préparation et quand j’étais enfant, le riz était le plat que je préparais.
Quels sont les ingrédients phare de ta cuisine ?
Les légumes : oignons, pommes de terre, tomates, salade et quelque chose qu’on utilise souvent… je ne me souviens plus… ah oui le poireau !
Aussi nous mélangeons différentes épices pour faire une sorte de nouvelle épice. Donc on mélange l’ail, le cumin, le curcuma, la cardamome, la cannelle. Chaque plat a son propre mélange d’épices, cela dépend de ce que vous cuisinez.
Par exemple, lorsque nous préparons du poulet, nous le préparons d’une manière spéciale. Nous prenons des oignons longs, puis nous les coupons et les mettons au four pour les faire sécher. Après cela, nous les laissons dehors au soleil pendant presque 3 jours, puis nous les mettons dans le mixeur avec le bouillon de poulet, et enfin on mélange la viande, c’est vraiment savoureux.
Est-ce qu’il y a un plat ou une cuisine en particulier qui t’a déjà fait voyager ?
Mmmm… Les spaghettis, la pizza, la nourriture syrienne, le houmous….
Chaque pays a sa propre odeur, ses propres goûts. La nourriture française est différente de la nourriture égyptienne. Par exemple, lorsque j’ai goûté les croissants et les pains au chocolat en Égypte, j’ai dit que je voulais « Olala je dois aller en France ». Et quand je suis venu ici, j’ai été surprise, c’était différent et meilleur. Et aussi quelque chose que j’aime… qu’ils préparent à Top Chef… quelque chose de sucré… Les éclairs !!! Vraiment j’adore j’ai l’impression d’être vraiment en France.
Au Yémen, chaque région a sa propre culture, donc aussi des plats, des aliments et des saveurs différents.
Le harada par exemple, il faut que vous goûtiez l’original. Comme le tajine, vous devez le servir dans le bon plat pour être un vrai tajine. Pour le harada, vous devez également le servir dans une assiette spéciale pour que ça soit l’original.
Au Yémen, il y a des endroits appelés mbaza, où les gens cuisinent devant vous, et vous vous asseyez et mangez et il y aura beaucoup de gens qui viendront s’asseoir avec vous, même si vous ne les connaissez pas. Pour les Kebabs, vous mettez la viande dans le pain, et vous faites votre propre sauce, et les gens viennent et mangent. Les Yéménites sont célèbres pour leur culture et leur nourriture. La nourriture que vous devez manger doit être chaude pour être bonne.
Selon toi, est ce que la cuisine permet de transmettre des pratiques, des traditions ou encore des héritages culturels ?
Quand ma mère cuisinait, je regardais toujours parce que je voulais apprendre. Elle a découvert que j’aimais cuisiner. Nous devons tous aider dans la cuisine, mes sœurs aussi aidaient. Mais si elles n’aimaient pas cuisiner, elles aidaient à d’autres choses ou à faire la vaisselle. Mais comme moi j’aimais cuisiner, ma mère m’a appris.
Quand je travaillais dans une association j’ai rencontré d’autres femmes. J’ai voulu les aider, et comme j’aime cuisiner, je les ai intégrées à l’association. La cuisine est un échange, chaque jour nous apprenons les uns des autres. Vous pouvez apprendre quelque chose des gens qui ont une cuisine différente, si un Français aime la nourriture mais pas une épice spéciale, vous pouvez la changer, je ne peux forcer personne à aimer la nourriture, mais à intégrer leur goût à la nourriture, de cette façon je peux rendre la nourriture yéménite internationale.
La nourriture yéménite nécessite une préparation spéciale, vous ne pouvez pas prendre n’importe quoi dans le réfrigérateur et cuisiner quelque chose. Vous devez faire attention aux portions, car lorsque vous cuisinez, si vous mettez trop d’épices, ce ne sera pas bon.
Selon toi, est-ce que la cuisine peut créer des liens entre des personnes qui viennent d’horizons divers ?
Chaque personne a quelque chose en elle qui la rend créative, si nous collaborons les uns avec les autres et mettons les idées sur la même table, nous pouvons créer quelque chose d’assez unique.
Dans mon association, il y avait d’abord des femmes yéménites, puis des Egyptiennes et des Ethiopiennes. Et dans mon travail, nous étions de différentes nationalités, chacun apporte un plat différent de son pays. L’expérience en Égypte m’a ouvert les yeux sur les différentes cultures.
Ici, je venais d’une culture différente, et j’ai découvert que les Français aimaient la nourriture arabe et que j’aimais et voulais essayer la nourriture française, c’était un échange.
Avec qui préfères-tu cuisiner ?
Ma mère. Elle m’a tout appris, et si je faisais une erreur ou si je me blessais, elle m’aidait. Après, avec le temps, ce sont les autres qui ont dépendu de moi. J’ai aussi appris de mes sœurs, leur nourriture est plus délicieuse que la mienne, nous nous sommes entraidées, c’est pourquoi j’aime cuisiner avec ma famille.
Et si nous considérons quelqu’un de célèbre, j’aimerais cuisiner avec Gordon Ramsey, il se concentre sur chaque détail, j’aime la décoration qu’il fait pour la nourriture et son style.
Signé : Juliette Donnarumma et Geraldine Meyer (interview en anglais)
Photos : Juliette Donnarumma et Geraldine Meyer
Traduction : Juliette Donnarumma et Geraldine Meyer