Humans of Food #18
Rabab
Cuisinière syrienne à Strasbourg
Sous sa timidité apparente, Rabab cache une force de travail et de détermination impressionnante. Arrivée en France en 2019 après avoir fui sa Syrie natale, Rabab vit désormais à Strasbourg, où elle admire la diversité humaine et les opportunités qu’elle y trouve. Elle travaille désormais au restaurant Damasquino, où elle cuisine aux côtés de Hussam (portrait Humans of Food à retrouver ici) et partage avec lui leur culture commune.
Accompagnée par l’équipe de Stamtish, Rabab a participé à l'édition 2023 du Refugee Food Festival à Strasbourg, en collaboration avec les cheffes du restaurant Honesty.
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Rabab, je suis syrienne, je suis mariée et j’ai 2 enfants. Je travaille maintenant dans un restaurant en tant que cuisinière et au service mais en Syrie je travaillais comme secouriste. Je suis arrivée en France en 2019, j’habite à Strasbourg que j’aime beaucoup. J’aime beaucoup la langue française mais pour moi c’est très très difficile, je ne parle pas assez bien pour discuter avec d’autres personnes ou étudier donc je reste beaucoup à la maison, mais maintenant je travaille donc j’apprends un peu le vocabulaire. Je travaille aussi avec l’association Stamtish depuis quelques mois.
Comment es tu passée de secouriste à la cuisine ?
J’aime beaucoup cuisiner. J’ai toujours fait le repas à la maison, pour les amis, mes filles, la famille… J’ai aussi travaillé dans le restaurant de mon frère en Syrie. Je regardais toujours le chef travailler, c’était parfait, il coupait très vite. Aussi, en Syrie ce sont toujours les femmes qui cuisinent à la maison. Pour travailler ici en tant que secouriste c’est très difficile, il faut beaucoup parler français donc c’est difficile pour moi. Mais j’ai trouvé ce travail, et c’est très bien pour continuer la vie.
Ma mère a toujours dit : « Rabab cuisine parfaitement ».
As-tu un souvenir particulier lié à la cuisine de ton enfance ?
Quel est le plat de ton enfance ?
Quand j’étais petite je regardais toujours ma mère faire des feuilles de vignes. Elle les roulait comme des cigarettes, et à côté je voyais mon père rouler ses cigarettes pour les fumer. Ils faisaient le même geste, ça me faisait rire. Moi maintenant je fume aussi.
J’adore le mujaddara. C’est un plat traditionnel à base de lentilles et de boulghour, très facile à cuisiner.
Quels sont tes ingrédients phares de ta cuisine ?
J’aime beaucoup les haricots verts et le poivron, même si j’éternue toujours toujours à cause de lui. En Syrie, il y a beaucoup de légumes qu’on retrouve moins ici, puisqu’il y a beaucoup de soleil. Par exemple j’adore le gombo, mais en France c’est très cher et il faut toujours le garder au frigo.
Qu’est-ce que tu ressens quand tu cuisines ?
Je ressens beaucoup de joie à l’idée de faire goûter mes plats à mes amis et ma famille, je suis très heureuse. J’aime nourrir les gens, en Syrie je faisais toujours le repas pour mes amis et mes voisins, je leur téléphonais pour qu’ils viennent goûter mes plats. Pendant le COVID, j’ai aidé une association à Strasbourg, je cuisinais des plats pour les donner aux gens qui en avaient besoin.
La cuisine c’est l’esprit de la vie. Tout le monde a besoin de manger, mais quand quelqu’un mange je vois qu’il est content, qu’il trouve que c’est bon, je sens qu’il est heureux. C’est ça l’esprit de la cuisine.
« La cuisine c’est un art. Dans l’assiette comme sur le tableau, il faut que ce soit beau à voir et bon à manger, les deux. En Syrie, on dit toujours que les yeux mangent avant l’estomac. »
Qu’est-ce que tu aimerais transmettre avec la cuisine ? Aurais-tu un souvenir à nous partager dans lequel la cuisine t’a permis de transmettre quelque chose d’important pour toi ?
Je voudrai transmettre notre culture et nos traditions culinaires. Par exemple, ici tout le monde mange toujours avec une fourchette et un couteau, mais en Syrie on prend du pain pour manger avec. Il y a beaucoup de différences dans les façons de cuisiner entre la Syrie, la France et les autres pays. Pour cuisiner l’ail j’utilise toujours une cuillère pour l’écraser, c’est comme ça qu’on fait en Syrie, la dernière fois j’ai fait ça devant un chef français il m’a regardé et était surpris.
Est-ce que tu veux me raconter ta première découverte en France ? Quelque chose qui t’a marqué ?
Quand je suis arrivée en France, j’étais très triste. Après j’ai regardé tout le monde, toutes les routes, je regardais partout autour de moi. Une chose qui m’a frappé c’est l’odeur des magasins. Elle est très bizarre, ce n’est pas du tout la même que dans mon pays.
La nourriture française est très belle, c’est complètement différent. Il y a toujours des différences entre les pays mais ça m’a fait découvrir de nouvelles cultures, une nouvelle cuisine. La première fois que je suis arrivée en France, j’ai été impressionnée de voir autant de gens de cultures différentes, qui viennent de pays différents. Pour moi c’était très bizarre, mais j’aime beaucoup partager la vie avec autant de personnes en France, il y a des Syriens, des Français, des Espagnols, des Italiens : il y a toujours des gens différents, c’est très beau. En Syrie ce n’est pas comme ici, il y a quelques personnes qui ne sont pas syriennes mais ils viennent souvent de la même région. Dans la cuisine c’est pareil, il y a beaucoup de restaurants de différentes cultures, des restaurants japonais, chinois, syrien, et tout le monde goûte à tout, c’est super !
Pourrais-tu nous parler d’un plat ou une cuisine qui t’a déjà fait voyager ?
Oui, j’ai mangé des sushis dans un restaurant japonais à Strasbourg. C’était la première fois que j’en mangeais, wow c’est magnifique, parfait ! J’ai essayé de refaire ce plat à la maison.
Aussi, à Strasbourg il y a un repas célèbre, c’est la tarte flambée. C’est le premier plat que j’ai mangé ici, avec l’association du Foyer Notre-Dame. Puis plus tard j’en ai remangé dans un restaurant. C’est très bon !
Est-ce que tu aimerais transmettre la cuisine ? À tes filles par exemple ?
J’ai deux filles, une qui a 24 ans et l’autre 21 ans. Elles font leurs études à Bâle. La plus grande aime beaucoup beaucoup cuisiner. Elle dit toujours qu’elle veut quitter son Université pour venir ouvrir un restaurant avec moi. Moi je lui dis que non, qu’elle termine ses études et après on verra ! Ma fille cuisine beaucoup de la nourriture d’autres pays, chinois, français, italien, marocain… Elle veut toujours manger à la maison et faire le repas ! Elle regarde comment je cuisine à la maison, elle aime la cuisine syrienne mais adore gouter les autres cuisines dans les restaurants.
Moi, je préfère cuisiner syrien. J’ai besoin de formation pour préparer des repas d’autres pays, il y a beaucoup de vidéo Youtube pour apprendre les recettes. Mais moi j’aime me concentrer sur la nourriture syrienne. Ça m’empêche pas d’apprendre le reste, j’aime aussi, mais je le ferai plus tard pas maintenant. J’attends de savoir très bien parler français puis j’ouvrirai mon restaurant syrien, c’est mon plan. Dans ma ville en Syrie, Salamiyah, il y a un plat qu’on ne retrouve pas ailleurs. J’ai toujours imaginé que j’ouvrirai un restaurant, dans lequel je ne servirai que ce plat, le Maejuqa, et qu’il y aurait beaucoup de gens donc après le restaurant à Strasbourg j’en ouvrirai à Paris, puis en Amérique ! J’ai toujours rêvé que tout le monde ouvre des restaurants de maejuqa, comme pour les pizzas ! Ça se cuisine avec de la farine, comme pour la pizza, avec des poivrons rouges et verts, et de la viande d’agneau. C’est un peu la tarte flambée de Salamiyah ! Peut-être que dans les restaurants français il y aura la tarte flambée et aussi le maejuqa, le mélange des cultures, c’est très bien ça !
J’ai toujours imaginé que mon restaurant doit être top, je ne sais pas pourquoi mais il devra être top ! Le décor syrien, le repas top, j’y ai toujours réfléchi. Mais travailler dans un restaurant c’est très difficile, ce n’est pas comme les autres métiers, il faut travailler tous les jours. Je ne peux pas fermer le restaurant, c’est fatiguant, mais ça me plait. Avec ma fille ça pourrait être plus facile, son copain aussi est super en cuisine, ce serait drôle !
Avec qui préfères-tu cuisiner ? Comment es-tu en cuisine ?
J’aime beaucoup cuisiner seule. J’ai toujours cuisiné vite, vite, vite ; avec une autre personne c’est plus compliqué. C’est super d’être aidé, mais seule c’est plus parfait. Je suis très stressée, c’est difficile et beaucoup de travail.
Maintenant j’ai des millions de pensée, ici, en Syrie, ma famille, mon mari. Quand je cuisine je réfléchis à tout ça. Mais avant, il y a quelques années, j’écoutais toujours de la musique, je dansais et je chantais. J’écoute encore de la musique quand je cuisine, mais avant j’étais très calme et maintenant je fais tout vite, vite, vite. Je suis toujours comme ça ! J’aime quand tout est propre et rangé. À la maison, je nettoie toujours, et mon mari de dit stop, mais moi je continue, tout doit être propre ! Tout l’appartement doit toujours l’être, mais la cuisine encore plus.
Peux-tu nous raconter ton expérience à Damasquino ?
J’aime cuisiner pour tout le monde mais surtout pour mes enfants et pour ma famille. Mais je n’ai pas toujours le temps de le faire en rentrant du travail. J’aimerais pouvoir cuisiner plus pour eux.
Signé : Anna Diaz
Photos : Julia Wencker